« Je me souviens d’elle comme si c’était hier. Ces belles boucles brunes, ce regard bleu d’une beauté à vous en couper le souffle. Une peau si belle, si blanche mais surtout si parfaite. Quand mon regard croisa le sien, ce fut comme si plus rien d’autre au Monde n’existait. J’avais seize ans, le premier amour venait de pointer le bout de son nez. Dès lors, plus rien ne fut comme avant. Je délaissai peu à peu mes amis au profit de cette fille. Jane. Son regard était toujours voilé d’une tristesse que je ne compris pas tout de suite. Ensuite, j’appris qu’elle n’avait pas eu une enfance des plus heureuses. Au contraire, la souffrance semblait être le mot d’ordre de cette période sombre. Elle avait tout perdu. Père, mère, frère. Un accident de voiture tragique mais surtout fatal. Ils revenaient d’Ecosse, où ils avaient rendus visite à des amis. Mais n’en étaient jamais réellement revenus. Et Jane, trop petite pour voyager à cette période-là, était restée à la maison avec la nurse. Bien sûr, moi qui avait toujours vécut avec mes parents, proche de cette famille que j’aimais tant, ne pouvais pas bien comprendre ce qu’était une vie sans parent. Mes sœurs étaient mes amours, Emily comme Mary. Mes parents, mes attaches les plus tenaces sans lesquels avancer serait une épreuve. Mais Jane n’avait rien de cela. Et je ne pus que l’en aimer davantage. A vrai dire, je ne m’étais jamais beaucoup occupée des filles, avant. J’avais beaucoup d’amis et d’amies, mais ne considérais jamais l’une d’elle comme une future petite amie potentielle. L’idée ne m’effleurait même pas. Je me sentais trop immature pour ne serait-ce que penser à l’amour, une notion bien trop compliquée que je ne représentais que sur du papier, lors de mes esquisses et peintures sur mon chevalet. Parfois la mélodie que je créais à la guitare suggérait cette ambiance, ce mot à la fois profond et ambigu.

Jane changea ma vie. Elle me fit comprendre que j’étais capable d’aimer une personne plus que moi-même ne m’aimais. Mes amis disaient de moi que j’étais un romantique et pourtant je ne le pensais pas. J’imagine qu’un romantique à cette image lisse de parfait gentleman qui écrit des poèmes et qui offre des roses rouges reflétant leur amour à leur âme soeur : c’est ce que j’avais lu à de nombreuses reprises. Jamais aucun poème ne fut écrit, jamais aucune rose ne fut offerte. Et pourtant Dieu seul sait à quel point je l’aimais. Notre histoire dura un peu plus de six mois. Jusqu’à ce que la nouvelle tomba. Elle partait, déménageait à l’autre bout de l’Europe et changeait d’établissement. Me délaissait. »

Une larme coula sur le papier et Freddie déçida de refermer le carnet. Trop désorienté. La nostalgie de cette période refaisait surface et il ne voulait plus écrire, au risque de tomber dans le désespoir absolu.